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Album d'Afrique, ou Souvenir d'Afrique (1846)

Costumes français et indigènes, Scènes de mœurs

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 1 de l'Album d'Afrique (Passementier, Costumes militaires algériens, Juive et Famille maure allant à la campagne)

Cet album in-folio de huit planches, aquarellées et lithographiées, fut publié, en 1846, par Gihaut et Auguste Bry, puis, réédité plusieurs fois, et jusque vers 1863, par Bastide, libraire à Alger et à Constantine, et Challamel, libraire à Paris. 

Paru sous le titre Album d’Afrique, ou Souvenirs d’Afrique, selon les tirages, son sous-titre nous en précise le contenu :

Costumes français et indigènes, Scènes de mœurs, Sujets militaires au bivouac et en campagne. Dessinés d’après nature et lithographiés. Par Benjamin Roubaud.

Les quatre premières planches contiennent, sur la même feuille, plusieurs sujets différents, les suivantes ont un motif unique. Toutes sont remarquables par la richesse et l’intérêt des sujets abordés qui sont finement représentés et souvent pris sur le vif.  C’est l’ultime témoignage que Benjamin ait laissé de sa connaissance approfondie du pays.

Planche 1. Album d’Afrique. Passementier, Costumes militaires algériens (tenue de voyage), Juive, Famille maure allant à la campagne.  Collection S.P. Lohia

Cette planche contient 4 motifs diversifiés :  Passementier,  Costumes militaires algériens (tenue de voyage),  Juive ,  Famille maure allant à la campagne.

• Les passementiers d’Alger, souvent très jeunes, généralement des juifs, étaient réputés pour leur savoir-faire.
Le jeune passementier, une aiguille à la main, est assis sur une estrade recouverte d’un tapis, une jambe repliée sous l’autre.  Il sait fabriquer avec virtuosité des cordons, des glands, des rubans, des tresses , broder des soutaches, des boutonnières sur les vêtements. Il sait aussi revêtir de fils d’or les tuyaux de pipe des fumeurs de kif, ou tisser des chaînes de montre.

• Un groupe de militaires en tenue de voyage, bagages sur le dos, se déplace sans doute entre deux garnisons. Pour franchir un cours d’eau à gué, les soldats ont remonté en haut des cuisses les jambes de leurs pantalons bouffants.

• Juive : En costume traditionnel, dans une belle attitude, elle est vêtue d’une chemise blanche, à larges manches nouées à l’arrière et d’une robe-tunique en soie, richement brodée de fils d’or ou d’argent. Sur sa tête est posé un bonnet surmonté d’un mouchoir. Les cheveux longs, serrés dans un cordon, pendent jusqu’au bas du dos.

• Famille maure allant à la campagne. Le chef de famille maure conduit deux femmes à la campagne, l’une assise un petit âne qu’il mène par la bride et la seconde suivant derrière, à pied. On devine sous le voile de cette dernière une coiffe haute du genre hennin, ou sarmah.

Sur cette planche nous voyons un colon de 2e classe, deux zouaves, un bivouac de spahis et un Spahi en pied.

• Le colon de deuxième classe parade fièrement devant un débit de tabac et liqueurs dont il est le patron. On voit derrière lui, la carotte tenant lieu d’enseigne et l’inscription au mur « Tabac et liqueurs ». Il fait partie de ces colons, qui, attirés en Algérie par le profit, étaient riches, menant grand train et qui ne semblent pas avoir recueilli la sympathie de Benjamin.

• Les Zouaves, créés en 1831, étaient des soldats d’infanterie légère, recrutés d’abord parmi les soldats de la Régence d’Alger, puis d’origine exclusivement européenne. Leur uniforme comprend une chéchia recouverte d’un turban,  une veste de drap bleu foncé, un pantalon bouffant, et à la taille, une large ceinture. Ils disposent d’une courte pélerine couleur gris de fer, de guêtres blanches, ou bleues, recouvrant des souliers de cuir noir.

• Les Spahis, soldats turcs au service de la Régence d’Alger, avant la conquête, rallièrent ensuite l’armée française. Ils formaient un corps de cavaliers redoutables dirigé par le général Yusuf. Leur uniforme était semblable à celui des Zouaves, mais avec un grand burnous, de drap garance, porté sur un premier burnous blanc en laine.

• Bivouac de Spahis
Au milieu du campement de leur unité, les Spahis, assis, devisent tranquillement, en fumant, et s’apprêtent à passer la nuit sous la traditionnelle tente arabe.

Planche 2 . Album d’Afrique. Colon de 2e classe, Zouaves de la 3è du 4è, Bivouac de Spahis et Spahis. Collection S.P. Lohia

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 2 de l'Album d'Afrique (un colon de 2e classe, deux zouaves, un bivouac de saphis et un spahi en pied)

L'aventure algérienne

Cette planche comprend 4 motifs : Mauresque, Biskris, Tente arabe et Colon de 3è classe.

• Les Mauresques menaient essentiellement une vie d’intérieur, ne sortant que peu et entièrement voilées. De familles pauvres, elles étaient vouées aux travaux domestiques et aux soins donnés aux enfants.
De familles aisées, elles menaient une vie oisive, s’occupant essentiellement de leur beauté et de leur toilette. Il s’agit ici d’une jeune mauresque de bonne condition. Le visage est rond et légèrement replet, il est fardé de rouge et de blanc. Le contour des yeux, les cils et les sourcils sont soulignés au kohl. On remarque le traditionnel bonnet rayé de toile enveloppant les cheveux en descendant jusqu’aux oreilles. Il est muni de deux cordons s’attachant sous le menton, et surmonté d’un ornement en pierreries.  Le collier à 4 rangs entourant étroitement le cou, et les boucles d’oreilles, sont en perles précieuses. Les épaules sont recouvertes par une chemise de gaze fine.

• Les Biskris, originaires de Biskra, ville du sud de l’Algérie, en bordure du Sahara, s’étaient installés dans un quartier d’Alger. Ils formaient une corporation de portefaix s’employant sur le port au transport des marchandises et des bagages des voyageurs. D’autres portaient l’eau chez les particuliers.

• Tente arabe. La tente traditionnelle est montée sur un poteau central et des poteaux latéraux aux extrémités. Elle est revêtue de bandes de laine et de poil de chameaux cousues ensemble. Les extrémités sont fixées au sol par des bandes de laine raidies sur des piquets plantés en terre.

• Colon de troisième classe. Les colons, installés dès le début de la conquête de l’Algérie, étaient de trois classes. Ceux de 1e classe, les plus aisés, se voyaient attribuer 10 hectares, ceux de 2e classe étaient souvent d’anciens soldats et recevaient 6 ha. Enfin, les plus pauvres, de 3e classe, recevaient 4 ha. Ici, c’est un colon de la classe la moins bien lotie, avec la concession d’une terre de 4 hectares. On devine à son habillement et à son attitude qu’il ne vit pas dans l’opulence.

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 3 de l'Album d'Afrique (Mauresques, Biskris, Tente arabe, Colon de troisième classe)

Planche 3. Souvenirs d’Afrique. Mauresque, Biskris, Tente arabe et Colon de 3è classe. Collection S.P. Loya

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 5 de l'Album d'Afrique (Tirailleurs algériens - Turcos)

Les Tirailleurs algériens, ou Turcos, créés en 1837, regroupaient à l’origine des combattants indigènes, issus des anciennes garnisons turques, d’où le nom d’origine de Turcos donné par extension. On remarque leur uniforme : veste bleue galonnée de soutaches dorées, portée sur un gilet sans manche. Une large ceinture de laine rouge souligne la taille maintenant un pantalon bouffant resserré aux chevilles. Les guêtres blanches sont portées sur de bottines de cuir noir. Enfin la tête est couverte d’une chéchia, recouverte, ou non, d’un turban blanc.

Planche 5. Souvenirs d’Afrique. Tirailleurs indigènes (Turcos). Collection S.P. Lohia

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 4 de l'Album d'Afrique (Négro, Bédouin, Mahonnaise, Colon de première classe, marchand de limonade)

Planche 4. Souvenirs d’Afrique. Negro, Bédouin, Mahonnaise, Colon de 1re classe, Marchand de limonade.
Collection S.P. Lohia

Cinq motifs variés se succèdent sur cette planche : Negro, Bédouin, Mahonnaise, Colon de première classe, Marchand de limonade.

• Negro, sans accent, ce mot venant de l’espagnol où il signifie noir,  est employé sans autre connotation.
Les noirs, appelés aussi nègres, ou négresses, toujours sans aspect dépréciatif, constituaient une petite population de serviteurs domestiques amenés de force, achetés ou enlevés, des régions du sud, aux confins de l’Afrique noire, notamment du Niger. Ils pouvaient obtenir leur affranchissement notamment en adoptant la religion musulmane et exerçaient alors souvent les professions de boucher, ou de peintre en bâtiment. Ils vivaient entre-eux, le métissage n’existant pas.

• Les Bédouins, peuple nomade, vivaient de l’élevage pastoral, principalement de chèvres et de moutons et de cultures passagères. Ils venaient à Alger pour y vendre des légumes ou des produits de l’artisanat. Certains s’étaient sédentarisés et exerçaient en ville de petits métiers. C’est sans doute un de ces bédouins qui est représenté ici, tenant un verre de la main droite et une pipe de la gauche.

• Mahonnaise : les Mahonnais, population coloniale venue essentiellement des Iles Baléares, dès 1830, s’intégrèrent facilement, mettant en valeur les riches terres agricoles autour d’Alger. Certains, aussi,  venaient comme saisonniers en Algérie. Les femmes mahonnaises gracieusement coiffées d’un foulard, étaient très présentes à Alger, où elles exerçaient les fonctions de nourrices ou de domestiques

• Le Colon de 1ère classe, catégorie la plus aisée, nous apparaît assez arrogant, richement vêtu, en train de caracoler sur un beau cheval d’un blanc éclatant. Il fait partie de cette catégorie des colons fortunés venus en Algérie pour s’enrichir, comme nous l’avons vu plus haut à propos du Colon de 2ème classe.

• Le marchand de limonade au verre exerçait un petit commerce de rue, habituel dans les villes. Boisson gazeuse très consommée et populaire, la limonade était servie fraîche, versée du grand récipient métallique à gauche du marchand.

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 6 de l'Album d'Afrique (Mauresque)

Planche 6. Album d’Afrique. Mauresque. Collection S.P. Lohia

Douillettement mi-allongée sur un canapé, cette Mauresque richement vêtue et parée de bijoux, tient un petit cigare de la main droite. La description de cette lithographie figure dans l’ouvrage de George Marçais, Le Costume musulman d’Alger (1930):

« Elle porte un pantalon d’intérieur en soie rose sur lequel retombe la chemise de toile fine. Le torse est couvert de la ghlîla, veste longue en soie bleue brochée d’or. Le bas de la ghlîla est pris sous la foûta jaune rayée de bleu , qu’entoure une ceinture dorée…La tête est coiffée d’une chéchia dont on ne voit que la bride…La chéchia est enveloppée d’une mharma jaune et rouge, dans laquelle sont piquées des épingles trembleuses. Boucles d’oreilles et colliers de perles. Aux pieds, gros anneaux de cuivre ou d’argent doré (khalkhal)».

Assis sur un tapis posé au le sol, sous l’ombre claire d’un grand arbre, nous voyons quelques officiers français en train de partager un déjeuner avec des Kabyles.

Cette lithographie, comme la suivante, nous montre un épisode de la campagne de Kabylie de fin 1845, début 1846,
A cette époque, l’Émir Abd-el-Kader,  par ailleurs en difficulté dans sa lutte contre les Français, s’introduisit avec ses troupes en Kabylie pour tenter d’y soulever les tribus, qui étaient réticentes, contre la France. Le Maréchal Bugeaud, fut chargé de le repousser et il y réussit rapidement. Cette scène pacifique se comprend dans la mesure où les Kabyles n’étaient pas hostiles à la présence française en Algérie s’ils pouvaient conserver leur autonomie, et certaines tribus s’étaient même ralliées à la France.

Elle reproduit un le tableau de Benjamin Déjeuner chez les Kabyles exposé au Salon du Louvre de 1846, détenu actuellement dans une collection privée .

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 7 de l'Album d'Afrique (Déjeuner offert par des Kabyles)

Planche 7. Souvenirs d’Afrique. Déjeuner offert par des Kabyles. Collection privée.

Comme la précédente, cette lithographie restitue un épisode de la campagne de fin 1845-début 1846, en Kabylie, pour en chasser l’Émir Abd-el-Kader. Elle reproduit à l’identique le tableau « Un Bivouac ; souvenir d’Afrique » exposé au Salon de 1846, actuellement non localisé.

Nous assistons à matinée au camp. Après une nuit glaciale, le camp reprend vie. On aperçoit au fond un vaste paysage montagneux et la foule des tentes au milieu desquelles sont parqués les chevaux.  Au premier plan, en discussion, tout en fumant, le commandement de l’unité.

Planche 8. Souvenirs d’Afrique. Le Bivouac. Collection privée.

Aquarelle par Benjamin Roubaud - Planche 8 de l'Album d'Afrique (Le bivouac)